« La modestie, c’est la housse du talent. » a dit Aurélien Scholl. Modestie et talent sont les points communs de Philippe Foreau et Antonio Molina. Succès reconnus mais modérés « à cause » de la modeste Vallée de la Loire, du méconnu Flamenco ? L’un sort de son écrin un Vouvray « Goutte d’Or » 2011, l’autre une interprétation féerique d’« Adios a España ». Armand Foreau, le grand-père possède quelques vignes et établit la notoriété de la maison (premier à embouteiller ses vins à Vouvray à l’époque) en commençant à creuser la cave en 1910, qui s’achève en 1970. Le père, André, prend les commandes du domaine en 1969, la même année, dans « Galas del Sabado », Antonio, descendant d’une humble famille d’Andalousie, révèle « Adios a España », un chant lyrique espagnol racontant l’histoire d’un espagnol triste d’immigrer.
La tradition : une boussole
En 1983, Philippe perpétue la coutume familiale : « Comme mon grand-père et mon père, je reste attaché aux méthodes traditionnelles et à une logique biologique pour la culture de nos 12 hectares situés en première côte et âgés en moyenne de 37 ans. » explique-t-il récemment. Quant à Antonio, il éblouit l’Espagne de son style andalous, inimitable et de sa voix cristalline. Durant ses tournées (théâtre, cinéma, chanson), il sillonne les routes avec une auto offerte par Franco. Philippe aussi sillonne ses vignes avec son tracteur, mais c’est bien à la main que la vendange se fait, à la voix que le chant s’exprime.
21 ans printemps plus tard
Et même si les péripéties du temps tracassent Philippe, il reste immuable : « Les années sèches, c’est un beau millésime assuré, on est gagnant sur tout la ligne. Les années humides favorisent la pourriture grise et il faut se battre dans la vigne pour sortir quelque chose de correct ». assure-t-il. 2011, hiver froid et sec et printemps chaud et sec. Après 1947 et 1990, le tour de force de la cuvée emblématique du domaine, la « Goutte d’Or », est venu.
La stratosphère
Je carafe MA « Goutte d’Or » 2011 (ouverte soudainement après un piteux Condrieu 2015 d’un producteur dont je tairai le nom et l’insistance d’un copain dégustateur). Il arrive à la fin d’une trilogie sucrée de haute volée : Alsace Domaine Zind-Humbrecht « Clos Jebsal » Pinot Gris VT 2010, Vouvray Domaine Huet « Constance » 2003. Zind très bon, Constance excellente, Goutte d’Or … un superlatif que les mots extraordinaire, exceptionnel, magique, monumental, inoubliable ou encore immense ne sauraient suffisamment résumer. « Adios a España » connaît le même destin, entendu et dévoré par hasard, au fil de mes découvertes musicales.
Du volume
La robe est dorée telle une « Goutte d’Or ». Le nez est un peu fermé dû à cette ouverture précoce mais l’exotisme de la Loire est bien là, accompagné d’un parfum de foie gras, comme le Sauternes exhale la moutarde (si si c’est vrai). En bouche, c’est soyeux, sirupeux, une grosse matière me tapisse et me caresse le palais : « Bonita, alegre y graciosa como una rosa de abril » comme chante Antonio. « beso », c’est ce que ma bouche tente de déposer sur chacune de ces gouttes d’or qui « perfuma mi corazón » de ses arômes de rhubarbe, de fraise, de mangue, de pommes, de fruits mûrs, et de foie gras..
La table des grands
Un « oración » serait salutaire pour espérer reboire ce nectar digne des dieux. « La Grande Pièce », c’est la parcelle plantée en 1970 au sommet du plateau du Clos Naudin (qui n’a rien d’un Clos ) et qui engendre les plus beaux vins. C’est aussi là où ont lieu les dîners de prestige et divin, car c’est bien à la table des dieux que doit se déguster cette merveille, aux côtés d’Yquem ou d’Egon-Muller. Son producteur serait sans aucun doute d’accord : « Philippe Foreau sait transmettre dans ses vins le bonheur qu’il prend à les projeter dans le seul et unique espace qui leur revient de droit : les grandes tables » écrit la RVF.
Le met sublime
En 1954, Antonio écrit la pièce de théâtre « Hechizo » (J’ensorcèle). Sa douce voix cristalline est assimilable à la potion magique de Philippe : un sort m’est jeté. « L’une des missions du vin est de satisfaire la soif et d’accompagner la nourriture comme une gourmandise supplémentaire. Il n’y a pas de véritable gastronomie sans le goût du vin. » déclare-t-il. Comme d’habitude, je déguste cet élixir avec un dessert « maison » de mon cuisinier préféré à base de rhubarbe, de fraise, de spéculos et de chantilly. Un sorte d’apothéose ?
Tout ce qui brille n’est pas d’or ?
Philippe clame : «1947 était une année remarquable pour les liquoreux. Mon grand-père avait mis de côté toutes ses fins de presse, car elles représentaient la quintessence du vin. La couleur or donna son nom à la cuvée». D’enchaîner à propos de 1990 : «Ma meilleure parcelle bénéficiait d’un botrytis de grande qualité. Après avoir attendu fin octobre, j’ai décidé de tout vendanger en une seule fois, sans tri, et d’effectuer une presse très lente. Le jus qui coulait était d’un incroyable jaune soutenu ». Année d’Or, Juanito Valderrama remet un disque de platine à Antonio. Or, platine, leurs couleurs ne peuvent être que luxuriantes.
La longueur « kilométrique »
Ce grain de voix, le même grain de qualité que Philippe tire de ce fameux botrytis (il attend que la pourriture noble s’établisse de 40% à 100% sur les grains) pour qu’ensuite la trie la plus riche soit utilisée pour la « GO ». La cuvée 2011 de 7000 bouteilles est « preciosa ». «Les grands vins doivent impérativement répondre à un triptyque immuable: la finesse, la digestibilité et la grande longueur en bouche» assène Philippe. Et quelle longueur ! Du jamais bu depuis le Meursault « Les Narvaux » 1995 de Leroy. Les 240 gr de sucre résiduel ont l’effet « chewing-gum » en bouche : collant au palais avec fraîcheur, persistance et complexité en plus. La longueur est kilométrique et aussi aérienne que l’envolée finale et lyrique d’Antonio de 20 « caudalies » qui tapisse la pièce et mes oreilles par son grain pur. Tiens, en 1942, il est tapissier à Madrid. Sur ces sols argilo-siliceux, le terroir se nomme « perruche ». Je parlerai ainsi de « vin perroquet » : qui disent beaucoup de choses.
La jeunesse, un fruit gorgé de sucre à cueillir
Le prolixe Philippe affirme : « Il ne faut pas avoir peur de l’acidité ». Tension fougueuse acidité maîtrisée, jeunesse enivrante, j’abonde dans le sens de cette « vérité ». L’avenir est prometteur et tout comme Antonio, lorsque l’on a l’élégance de la « mar serena », la finesse de la « brisa », l’équilibre de le « tierra » et l’air majestueux du « sol », on peut affronter le temps avec fierté et confiance. « Boire du vin, au-delà de la gorgée avalée, c’est s’interroger sur les mystères de son goût, c’est comprendre son origine, son cépage, sa terre, c’est comprendre les conditions climatiques qu’il a reçues, c’est aussi comprendre son potentiel. » déclare Philippe. Savoir d’où l’on vient, où l’on est et où l’on va. « Je veux quitter le port, j’ai l’âge des conquêtes, Partir est une fête, Rester serait la mort. » chantait Jacques Brel.
GO 1921, à la recherche du temps perdu
« Terre inculte » et « broussailles », c’est la définition gauloise de vober qui a donné son nom à l’AOC Vouvray crée en 1936. « Les grands vins ont en commun avec les grands esprits de vous rendre intelligent. » écrit la RVF à propos des vins du Clos. La boucle est bouclée, la bouche jamais. En 1989, une fibrose pulmonaire s’empare d’Antonio et le met chaos en 1992. La grandeur d’âme ne suffit pas à rendre ses poumons invincibles. Un clin d’œil, en 1997, grande année liquoreuse en Loire, « Adios a España » d’Antonio est réédité en CD. Quant à MA deuxième « Goutte d’Or » 2011, elle patientera sagement en cave, et d’ici là j’espère goûter la 2015, la 1990, la 1947 ou encore la 1921, non estampillée GO mais vinifié pareillement…
Ma sincère gratitude,
Hugo Serres