Confronter notre regard occidental à celui d’artistes congolais sur un passé marqué par la colonisation, tel est le défi que relève avec justesse cette exposition inédite qui nous éclaire non seulement sur l’histoire de la République Démocratique du Congo mais aussi sur le regard porté par une nouvelle génération d’hommes et de femmes, rayonnant sur la scène culturelle congolaise.
Des archives de Hans Himmelheber aux créations avant gardistes contemporaines
A l’origine du projet, un fond d’archives exceptionnel datant des années 1938/39, période durant laquelle, Hans Himmelheber, ethnologue allemand , entreprit un voyage au Congo alors sous domination coloniale belge. Il est l’un des premiers à questionner les artistes sur leurs pratiques et à documenter leur processus créatif tout en faisant commerce d’objets d’art pour financer son expédition. Chercheur et collectionneur, il acquit un grand nombre d’oeuvres, parmi lesquels de nombreux masques rares et précieux, des statues majestueuses et aussi de magnifiques étoffes brodées.
Ces objets de mémoire, intimement associés, dans leur grande majorité à des rituels puissants , arrachés de leur contexte culturel, posent la question de leur acquisition et de leur place dans un musée de l’hémisphère nord. Les fonds manuscrits et photographiques qui complètent la collection privée de Hans Himmelheber, sont autant de témoignages sur lesquels , les artistes congolais contemporains portent un œil critique.
L’exposition est orchestrée autour de 3 thématiques « Design et élégance », « Pouvoir et politique » et « Performance et initiation »
Des artistes engagés
Michèle Magema, en gravant 81 panneaux de caoutchouc ravive à la fois l’humiliation et le dur labeur des populations travaillant dans les plantations d’hévéas et dénonce un partage du continent africain par les puissances coloniales. Son oeuvre Evolve, intimement liée à sa propre histoire familiale se comprend comme un rituel de réparation à l’égard de l’histoire mouvementée de son pays et de ses ancêtres.
Yves Sambu, par le prisme de la photographie met à l’honneur les sapeurs, personnages aux tenues extravagantes qu’il compare aux clichés pris par Hans Himmelheber durant son voyage. Il est étonnant de voir comment les poses et les tenues de l’époque contribuaient déjà à créer leur alter ego moderne devant l’objectif…
Loin d’un simple phénomène de mode, la sape (abbréviation de la Société des ambiances et des personnes élégantes) est aussi scrutée par Fiona Bobo au travers de la diaspora congolaise. Son oeuvre nous interpelle sur notre identité et le regard que nous portons sur une mode culturelle éminemment politique.
L’artiste Hilary Kuyangiko Balu, non sans un certain humour, détourne la dimension politique et religieuse des nkisi, ces statuettes anciennes chargées de substances magiques dotées d’un pouvoir protecteur. Utilisant des pièces électroniques provenant d’appareils usagés, il dénonce un pays dont le colonialisme et l’évangélisation ont profondément influencé l’art, aujourd’hui victime d’un consumérisme galopant..
Samy Balogi, porte quant à lui un regard critique à l’égard du post colonialisme. Très attaché à l’héritage intellectuel et industriel de son pays, Il interroge sur la décontextualisation des objets exposés dans les musées et confronte notre vision occidentale à la mémoire collective authentique de tout un peuple ancré dans la tradition.
Vers une décolonisation de la pensée ?
Soutenus dans leur démarche par d’autres jeunes artistes renommés (David Shongo, Sinzo Aanza, Steve Bandoma, Aimé Mpane..), c’est tout un collectif de créateurs qui nous invitent, par le regard qu’ils portent sur l’histoire de leur pays, à réinterpréter un héritage qui s’inscrit à la fois dans la continuité mais aussi dans la rupture d’une politique coloniale et post coloniale.
Hier comme aujourd’hui, le mouvement, la musique et l’interaction avec le public jouent un rôle majeur dans l’art du Congo. Par leurs peintures, leurs sculptures, leurs photographies et leur installations multi-média, ils nous plongent au cœur de leurs racines et réveillent en nous de profondes émotions.
Les questions de la réparation et de la restitution des œuvres ne peuvent être ignorées. La suprématie de la pensée occidentale est, dans le cadre de cette très riche exposition, challengée par la mise en perspective de valeurs alternatives portées par des artistes congolais engagés dans un processus de réhabilitation et de reconnaissance sur la scène internationale.
Délivrant chacun, leur propre vision de la République Démocratique du Congo, ces artistes questionnent sur l’identité nationale du Congo et ouvrent la voie de l’espérance à toute une nation au delà des frontières fictives et réelles.
Fiction Congo: Une oeuvre d’art totale à découvrir au musée Rietberg à Zurich jusqu’au 15 mars 2020
Christine Masseron