La lunette tournante est l’élément caractéristique de la montre de plongée, immédiatement identifiable de loin et doté d’un fonctionnement quasi-rudimentaire, évoluant comme la parfaite nageoire dorsale d’un prédateur pélagique. Son histoire remonte pourtant aux années 1950, et continue jusqu’à nous jours, renforçant son aspect révolutionnaire.
Que vous exploriez des épaves sombres et dangereuses ou de magnifiques récifs coralliens, tout aventurier sous-marin a besoin d’une montre de plongée de niveau professionnel sur laquelle il peut compter. Pour les plongeurs sérieux, le minutage est essentiel, et il est vital de le respecter. C’est pourquoi de nombreux grands noms de l’horlogerie ont au moins une montre de plongée dans leur gamme. Créer des montres qui fonctionnent parfaitement sous l’eau requiert un niveau d’expertise phénoménal et démontre les prouesses de toute marque horlogère qui y parvient. L’une de ces prouesses est la lunette tournante, dont l’histoire remonte à plus d’un demi-siècle…
Ayant connu une évolution extraordinaire, la lunette tournante a fait son apparition sur les montres de plongée au début des années 1950, en réponse à la requête des premiers plongeurs qui étaient à la recherche d’une solution pour mesurer leur temps de plongée. Les années passèrent, la lunette de plongée a connu changements, améliorations et autres évolutions, son utilisation reste très appréciée et, tel un symbole de robustesse et d’aventure, elle est plus populaire que jamais dans le monde de la plongée, même si l’avènement des ordinateurs de plongée numériques a accaparé une place importante au sein de cette discipline.
Jacques Cousteau a fait breveter son système de plongée sous-marine en 1943. Mais les débuts de la plongée sous-marine étaient un sport dangereux, avec peu de dispositifs de sécurité comme ceux que les plongeurs du XXIe siècle considèrent comme acquis. Le plus dangereux est peut-être l’absence de manomètre, ce qui signifie que les plongeurs doivent estimer la quantité d’air qui leur reste en se basant sur leur intuition de la profondeur, du temps passé et du rythme respiratoire. Un séjour trop long en profondeur et/ou une remontée trop rapide pouvaient facilement entraîner le mal de décompression, une affection communément appelée maladie des caissons, où les gaz en expansion se répandent dans le corps et provoquent des symptômes allant des éruptions cutanées et des douleurs articulaires à la paralysie.
À cette époque, Jean-Jacques Fiechter, alors PDG de Blancpain, a perdu la notion du temps lors d’une plongée au large des côtes françaises, a manqué d’air et a dû remonter à la surface, un accident qui aurait pu facilement le tuer. Ruegger, plongeur passionné et expert en montres de plongée, rédacteur en chef du magazine WatchTime, explique : « Étant à la tête d’une entreprise horlogère et ayant failli avoir un accident de plongée catastrophique, il a commencé à réfléchir à ce qu’il pouvait faire pour créer un instrument qui pourrait aider les plongeurs pour leur sureté et à prendre plus de plaisir à plonger. Et c’est ainsi que fut créée la montre Fifty Fathoms ».
Ce garde-temps révolutionnaire a transformé l’industrie horlogère. « Elle a pratiquement servi de modèle à toutes les autres montres de plongée qui ont vu le jour depuis lors. C’est essentiellement la mère de toutes les montres de plongée. Avant cela, nous avions des montres étanches qui étaient utilisées pour la plongée. Et après, nous avons eu des montres de plongée », rajoute Ruegger.
Bien entendu, Fiechter ne travaillait pas dans le vide. Les montres-bracelets étanches avaient déjà fait leur apparition pendant la Première Guerre mondiale, les officiers exigeant des montres étanches à la poussière, à l’eau et aux chocs pour coordonner les attaques. Et d’autres horlogers développaient des montres de plongée, à l’image de Rolex, qui a installé une grande lunette tournante sur son modèle ultra-rare Zero-graph dans les années 1930, ou encore Officine Panerai qui a commercialisé de robustes montres sous-marines pour les plongeurs de combat de la marine italienne. Toutefois, les véritables premières montres de plongée dotées d’une lunette tournante firent leur apparition en 1953, lorsque Blancpain, Rolex et Zodiac ont dévoilées des garde-temps qui allaient devenir les archétypes de toutes les futures montres de plongée.
Pour Blancpain, ce qui distinguait la Fifty Fathoms des montres étanches conventionnelles et la définissait comme une montre de plongée était la lunette unidirectionnelle, qui permettait aux plongeurs de fixer un point marquant le moment où ils étaient descendus sous l’eau et de suivre ainsi avec précision le temps passé. Ce temps passé sous l’eau est appelé le « temps de fond », et revêt un rôle essentiel pour le plongeur. En effet, il existe un nombre maximum de minutes pendant lesquelles un plongeur peut rester à chaque profondeur avant que l’accumulation d’azote comprimé dans ses tissus corporels ne dépasse les limites de sécurité. Dans le cas où cela se produit, une remontée directe à la surface lui est impossible sans faire des pauses en cours de route pour effectuer des « décompressions », afin de « dégazer » l’azote. A chaque profondeur existe une limite de non-décompression que le plongeur doit absolument ne pas dépasser. Pour y parvenir, il utilise généralement la « règle des 120 », qui stipule que 120 moins la profondeur maximale (en pieds) est égal au nombre de minutes que l’on peut y passer. A titre d’exemple, pour une plongée à 80 pieds, la limite de non-décompression est de 40 minutes, comme le montre la lunette de sa montre.
Dans le cas où le plongeur, pour une quelconque raison, dépasse cette limite de non-décompression, il devra absolument passer par des « paliers de décompressions », qui consiste à rester à différentes profondeurs pendant quelques minutes avant de remonter à la surface. Il pourra s’aider de la lunette de sa montre pour gérer la durée de ces paliers, grâce à l’affichage des minutes hachées délimitées sur les 15 ou 20 premières minutes de la plupart des lunettes.
Pionnière de la lunette de chronométrage unidirectionnelle qui ne se déplace que dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, Blancpain a sorti en 2011 la X Fathoms, une montre de plongée mécanique qui reproduit de nombreuses fonctions d’un ordinateur de plongée. Outre une lunette qui marque le moment de la descente, une aiguille mesure la profondeur maximale jusqu’à 90 m (295ft) ; une autre aiguille suit la profondeur actuelle, avec une précision de 30 cm (1ft) dans la plage 0-15 m (0-50ft) ; et une minuterie séparée compte un arrêt de sécurité de cinq minutes. Aujourd’hui, les lunettes unidirectionnelles sont pratiquement universelles, et plusieurs marques proposent des pièces aussi élégantes que performantes, telles que Rolex avec sa Submariner, qui affiche des performances sous-marines exceptionnelles, ayant été testée dans les conditions les plus extrêmes par la marine américaine ; ou encore la Audemars Piguet Royal Oak Offshore, une pièce classique moderne Considérée comme un must par les amateurs de nautisme.
« Une montre de plongée a été et sera toujours un badge d’honneur, un symbole où les plongeurs peuvent se connecter », rajoute Ruegger. « En tant qu’êtres humains, nous avons tendance à vouloir rejoindre des groupes. Porter une montre de plongée vous permet de vous connecter instantanément au groupe des fans de montres mécaniques et des plongeurs. »
Teddy Sarou